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Le vetting

Enquête sur nos partenaires potentiel·le·s – on devrait tou·te·s s’y mettre et voici comment

Le vetting (enquête sur nos partenaires potentiel·le·s) – on devrait tou·te·s s’y mettre et voici comment

Texte publié le 09/01/2020 par Pavese et reproduit ici tel quel.

 

 

Avant d’acheter une chaise en cèdre islandais sur Conforama, on regarde toujours les avis. C’est normal : on fait attention à notre argent. Mais dans le milieu francophone du shibari, on regarde rarement les avis avant de se lancer avec quelqu’un. Ce n’est pourtant pas notre argent qui est en jeu dans ces situations, mais notre corps, notre mental, souvent même notre vie.

Par “regarder les avis”, j’entends ici “jauger la confiance qu'on peut accorder à un·e potentiel·le partenaire”, un processus qui s’appelle en anglais le “vetting”. Dans le milieu du shibari que je fréquente, le vetting n’est pas très répandu. Ça vaut aussi pour mon cercle proche : presque aucun·e de mes partenaires ne m’a vet avant de faire des cordes avec moi, et moi-même je ne l’ai pas toujours fait. Franchement, ça serait pas du luxe qu’on s’y mette tou·te·s.

Comme les ressources francophones à propos du vetting sont rares, et que celles en anglais laissent souvent à désirer, je me suis dit que ça pourrait être bien de rédiger un mini-guide sur le sujet. Mon espoir est que cette pratique devienne un peu plus la norme, car on aurait tou·te·s à y gagner et ça rendrait le milieu plus sûr. Et puis comme ça, je peux profiter de cet article pour exorciser mon obsession pour les chanteurs français ringards des années 1980.

Perdre les vieilles habitudes

Le problème du vetting, c’est qu’il y a tout un tas de fausses pistes qui peuvent conduire les gens à penser que si, ielles ont bel et bien évalué les risques avant de jouer avec un·e inconnu·e. Des actions comme :

  • Regarder les photos publiées par la personne : c’est le premier truc qu’on fait tou·te·s pour jauger un potentiel partenaire sur Internet, non ? Et ce n’est pas une mauvaise idée – sauf si on cherche à en déduire le niveau technique de la personne ou sa dangerosité.
    Les photos manquent de contexte, elles omettent de préciser que le ou la modèle a peut-être été traumatisé·e par la session, ou que l’attacheur·euse avait reçu une aide extérieure pour attacher.

  • Évaluer la popularité de la personne sur Internet : si elle a plein d’ami·e·s Facebook (y compris des ami·e·s commun·e·s, dont la présence dans la liste d’ami·e·s n’équivaut pas forcément à une recommandation), qu’elle est très suivie sur Fetlife ou qu’elle reçoit plein de likes sur Insta, on a vite tendance à conclure qu’elle est appréciée, et donc qu’elle ne pose pas de danger. L’un des problèmes de cette idée, c’est qu’une personne sur Internet peut être suivie de partout et se faire un réseau international de gens qui ne l’ont jamais rencontrée en vrai.
    L’attacheur oufissime de Besançon qui vous fait de l’œil a peut-être un énorme succès à chacun de ses posts, mais si ça se trouve, c’est juste parce qu’il a percé en Bolivie et au Kurdistan. Il serait beaucoup plus intéressant de voir comment il est perçu dans la perle du Doubs (c’est le surnom de Besançon. Comment ça non ?).

  • Demander à des ami·e·s commun·e·s leur avis : si ielles n’ont jamais joué avec la personne, ielles ne pourront que déterminer si la personne a l’air safe. Ça ne vous aide pas vraiment à savoir si elle l’est réellement (même si en cas d’ami·e·s qui disent “très mauvaise idée, ne t’approches pas de lui·elle”, il faut en tenir compte). Vous pouvez aussi avoir vu des ami·e·s à vous, des gens très recommandables, faire des cordes avec la personne en question, mais il faut tout de même aller en discuter avec elleux. Vous ne savez pas si tout s’est vraiment bien passé au cours de ces sessions, ni si le ou la modèle ne regrette pas aujourd’hui.

Le corollaire de tout ça, c’est que si on vous demande un jour ce que vous pensez d’un·e·tel, répondez honnêtement, mais précisez que vous n’avez pas d’expérience avec cette personne, sinon, pour peu que vous disiez qu’il n’y a rien à signaler, vous risquez d’avoir l’air de donner un feu vert alors que vous n’exprimez qu’une intuition. Il est très important que votre interlocuteur·trice comprenne que vous n’avez pas d’info de première main à lui donner.

Aller chercher l’info

Au lieu d’utiliser toutes les pseudo-méthodes ci-dessus, on peut se livrer à une technique simple pour vet quelqu’un de façon sûre : parler aux gens. Non, non, restez, ça va bien se passer, je vous rassure, on peut même le faire via Internet pour que ça soit moins pénible.

En vettant (oui, c’est un verbe maintenant) quelqu’un, on cherche à savoir si cette personne s’est bien conduite avec ses ancien·ne·s partenaires : si elle est à l’écoute, respectueuse des limites de chacun·e, ne cache pas de mauvaises intentions et se tient à des pratiques de son niveau (si elle cherche à vous suspendre par le nombril alors qu’elle débute les cordes, c’est non).

Par bonheur, il existe des gens qui ont toutes ces infos-là : les ancien·ne·s partenaires en question.

  • Cas n° 1 : vous connaissez directement les partenaires de la personne. Félicitations, ça s’annonce facile. Il vous suffit de leur envoyer un message (voir plus bas pour son contenu), de recueillir plusieurs avis et voilà, vous avez une meilleure idée – informée par des opinions de première main – de la personne que vous voulez vet. S’il est utile de discuter à la fois avec les partenaires présent·e·s et les partenaires passé·e·s de la personne, accordez une attention toute particulière à celleux qui ne pratiquent plus avec elle : ce sont elleux qui seront les plus à même d’avoir du recul, voire d’être sortis d’une logique de manipulation dans les cas les plus dangereux.

  • Cas n° 2 : vous ne connaissez pas les partenaires (présent·e·s ou passé·e·s) de la personne, heureusement, ladite personne poste des photos de ses sessions sur Internet. Vous n’avez qu’à contacter les gens sur les photos pour leur demander leur avis, et le tour est joué. Si possible, ne contactez pas que les partenaires les plus fréquemment en photo : il faut les interroger, bien sûr, mais le cas des personnes qui n’apparaissent qu’une ou deux fois est tout aussi intéressant. Et si elles n’étaient pas revenues parce que ça s’était mal passé ?

  • Cas n° 3 : vous ne connaissez aucun·e des partenaires (présent·e·s ou passé·e·s) de la personne, et il n’y a aucune piste à explorer sur Internet. Là, ça se corse. La pratique la plus couramment conseillée dans ces cas-là est de directement contacter la personne pour “ask for references”, c’est-à-dire de lui demander de fournir une liste de personnes à contacter.
    Je n’aime pas cette méthode, parce que même le pire des scélérats saura toujours vous filer trois noms d’ami·e·s qui n’ont que du bien à dire sur lui. Ou le nom de ses profs, forcément enthousiastes. Ça reste une démarche utile, parce qu’on pourra parfois vous donner des informations éclairantes sur la personne ou ses traits de caractère. Reste que le mieux ici est de se référer à une asso ou à un lieu de cordes de la même région, dans l’espoir qu’ielles sauront vous aiguiller vers des partenaires présent·e·s ou passé·e·s de la personne.

Se méfier des stars

L’utilité du vetting ne se limite pas à vos potentiel·le·s partenaires de corde, mais aussi à vos profs ou organisateur·trice·s d’événements : ce n’est pas parce que quelqu’un propose des cours ou jouit d’une position d’autorité dans le milieu que cette personne n’est pas dangereuse. En règle général, il faut au contraire se montrer encore plus méfiant avec les gens qui ont du pouvoir : on a tendance à les mettre inconsciemment sur un piédestal (biais d’autorité) et eux-mêmes sont susceptibles d’être grisés par leur pouvoir.

Chaque année, le monde du shibari prend invariablement connaissance de nouveaux attacheurs très connus et expérimentés qui ont dépassé le consentement de leurs modèles. Le risque existe donc bel et bien aussi dans le cas de célébrités.

Par quoi commencer ?

La plupart du temps, vous n’avez pas forcément à poser de questions précises pour obtenir un bon résultat auprès de vos interlocuteur·trice·s. Un message très simple suffit : “Bonjour, on ne se connait pas mais je me permets de te contacter car j’ai appris que tu avais déjà fait des cordes avec Daniel Balavoine et je pense faire une session avec lui. Je voulais d’abord savoir si tu serais prêt·e à répondre à quelques questions à son sujet. Est-ce que tu acceptes que nous en parlions ?

Si vous ne vettez pas Daniel Balavoine, n’oubliez pas de remplacer son nom par celui qui convient, par exemple Jean-Jacques Goldman ou Julien Clerc.

Dans cet exemple, vous restez très vague et à bonne distance, une manière de montrer avec bienveillance à votre interlocutrice qu’ielle peut choisir de ne pas vous répondre et que vous respecterez son choix. Si ielle vous répond que vous pouvez continuer, le plus souvent il suffit de commencer par une question d’ordre général, comme “est-ce que tu recommandes cette personne ?”. Tendre une perche, en quelque sorte. À la personne ensuite de la saisir pour vous donner ses impressions positives, négatives ou neutres (ou ne pas vous répondre : c’est son droit – n’insistez en aucun cas).

Quelles questions poser ?

Parfois, une interrogation vague ne suffit pas. On peut avoir besoin de poser des questions plus précises, par exemple parce qu’on est préoccupé·e·s par des thématiques spécifiques ou qu’on envisage une session dans un contexte particulier (workshop, shooting érotique ou non, cordes avec du sexe ou non…).

Dans ces cas-là, rien n’empêche de continuer la discussion avec des interrogations, mais elles peuvent vite toucher à l’intime et, dans certains cas, porter sur des traumatismes qu’il ne faut pas raviver sans prévenir chez votre interlocuteur·trice. Avant d’aborder des sujets plus sensibles ou détaillés, envoyez donc d’abord un message pour obtenir la permission de “poser des questions sur des points précis de votre pratique”, par exemple. Sachez rester bienveillant·e et à l’écoute dans vos échanges et acceptez qu’on puisse vous répondre “non” ou “stop” à un moment.

Une fois cette étape franchie, vous pouvez creuser certains sujets, par exemple avec des questions qui ressemblent à :

  • Est-ce que Daniel Balavoine a été 100% respectueux de tes limites ?

  • A-t-il eu des intentions ou des remarques déplacées ?

  • A-t-il insisté pour avoir des pratiques avec lesquelles tu n’étais pas à l’aise ?

  • Maîtrisait-il tout ce qu’il faisait, ou a-t-il eu des pratiques trop ambitieuses pour son niveau ?

  • Comment a-t-il réagi à d’éventuels refus, safewords ou plaintes de ta part ?

  • A-t-il gardé contact après la session pour vérifier que tu allais bien dans les jours qui suivaient ?

  • Comment a-t-il survécu à ce terrible accident d’hélicoptère le 14 janvier 1986 ?

Parfois, des informations précieuses ressortent grâce à des questions qui ne portent pourtant pas sur des aspects liés à la sécurité, comme l'a montré @fairydance dans un commentaire (posté après la publication de ce texte) que je reproduis ici :

“Ça peut être intéressant de ne pas seulement demander si quelqu'un·e est 'safe' ou dangereux·se, mais aussi par exemple 'est-ce qu'il y a quelque chose qu'il serait bien de savoir ?' ou 'pour quel intérêt dans les cordes est-ce que tu recommanderais cette personne ?' ou 'quelles sont ses qualités spéciales ? Est-ce qu'ielle a des faiblesses dont je devrais être au courant ?'

Personne n'est génial dans tous les aspects de cordes, de communication, de consentement. Pour l'un·e c'est la mémoire un peu faillible qu'il faut prendre en compte, pour l'autre c'est sa volonté de faire plaisir à tout le monde, ou une personne est plutôt intéressé·e de faire des cordes très difficiles pour le corps du·de la modèle ce qui ne peut pas être bien pour la·le modèle qui est en train de vetter, ou bien quelqu'un·e est génial·e pour une session intense mais n'est probablement pas prêt·e à former des liens émotionnels ou même d'avoir plus d'interactions après la session qu'un petit check-in, etc.

Tout ça ne rend pas la personne (nécessairement) dangereux·se ou mauvais·e, mais il est quand même utile de le savoir avant de prendre la décision d'attacher avec la personne.”

Enfin, notez que les personnes qui acceptent de donner du temps et de l’énergie pour aider à vet le font par altruisme, pour éviter que des gens se mettent en danger. Préservez la confidentialité de vos échanges et ne trahissez pas leur confiance en profitant d’avoir établi le contact pour leur tenir la jambe.

Pour finir

Si vous avez toujours des doutes sur quelqu’un, même après avoir suivi un processus de vet rigoureux qui ne débouche que sur du positif, alors le plus prudent est de ne pas pratiquer avec cette personne. Quand votre instinct vous dit “non”, faites-lui confiance – et quand il vous dit “oui”, ne vous en contentez pas. Pensez à Balavoine, qui lui aussi avait sans doute un bon feeling en montant dans l’hélicoptère.

Avoir vet quelqu’un avec succès n’empêche pas de suivre d’autres règles de prudence, comme de pratiquer lors d’un événement public les premières fois, de vous faire accompagner par une personne de confiance ou de s’en tenir à des pratiques moins intenses au début. Ce n’est pas parce qu’une personne n’a jamais agressé quiconque qu’elle ne le fera jamais : le vetting permet seulement, en théorie, de réduire les risques

tl;dr : contactez toujours les partenaires présent·e·s ou passé·e·s des gens avec qui vous allez faire des cordes, ne vous fiez pas juste à une première bonne impression, à des photos ou à l’opinion optimiste de gens qui n’ont pas pratiqué avec les personnes en question.

Lire davantage

Pour plus d’infos, ou pour approfondir le sujet du vetting sans allusions à des chanteurs français (même si c'est dommage), vous pouvez consulter ces différents liens.

À propos du vetting :

À propos des nouveaux·elles partenaires de cordes :

À propos des modèles plus précisément :

 

Je tiens à remercier @EtoileAbsinthe, @Sixtine et @Dragonyaku pour m'avoir aidé à relire, modifier et améliorer ce texte. Vous êtes top. <3

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